Bisket Jatra à Bhaktapur : notre expérience du Nouvel An Népalais
Pendant que le reste du monde fêtai l’arrivée de 2024, le Népal entrait dans l’année 2081. Lors de notre voyage, nous avons eu la chance de vivre l’un des événements les plus marquants du calendrier népalais : le Nouvel An népalais Bisket Jatra à Bhaktapur !
Célébré avec ferveur à Bhaktapur, une ancienne cité royale à quelques kilomètres de Katmandu, ce passage à la nouvelle année n’a rien d’un simple feu d’artifice ou d’un dîner de fête. C’est une fête puissante, à la fois spirituelle, chaotique et spectaculaire. Nous avons eu la chance d’y assister et on peut vous le dire : c’est sans doute l’un des événements les plus intenses et fascinants de notre voyage en Asie.
Le calendrier népalais : un Nouvel An en avance de 57 ans
Le Népal suit le calendrier vikram sambat, en avance d’environ 56 à 57 ans sur notre calendrier grégorien. Le Nouvel An népalais tombe généralement autour du 13 ou 14 avril, et marque le début de l’année. Le calendrier vikram sambat a été instauré par le roi Vikramaditya il y a plus de 2 000 ans. Il commence au mois de Baisakh, qui correspond plus ou moins à avril dans notre calendrier grégorien. Le Nouvel An marque ainsi la fin de l’hiver et le début de la saison des récoltes, un moment charnière pour les communautés rurales.
À Bhaktapur, cette transition prend la forme d’un festival unique qui s’étale sur une semaine. Il raconte, selon la légende, l’histoire d’un roi et d’une princesse maudite, dont tous les prétendants mouraient mystérieusement. Un jeune homme parvint à rompre la malédiction grâce à l’intervention divine, symbolisée aujourd’hui par des rituels de fertilité, de protection et de force.
Immersion dans un festival népalais hors du commun
Nous sommes arrivés pour les festivités complètement innocents, avec très peu d’informations. Peu d’articles ou de guides détaillent ce qui s’y passe vraiment. Ce n’est qu’en arrivant sur place que nous avons compris que les festivités s’étendaient sur une semaine entière… et que nous en avions déjà manqué une bonne partie. Heureusement, nos dates coïncidaient avec le pic des célébrations, ce qui nous a permis d’assister aux moments les plus marquants.
En discutant avec un Népalais au cœur de la foule et des amis français retrouvés sur place, nous avons appris que ce festival, malgré sa beauté, est particulièrement dangereux et qu’il provoque des morts presque chaque année (apparemment pas l’année de notre passage). Et en voyant la densité de la foule, la tension palpable et l’absence totale de sécurité, on a vite compris pourquoi.
Rassurez-vous : en restant simple spectateur et en gardant ses distances, l’événement reste magique, vibrant et inoubliable.
Effervescence à Pottery Square
Arrivés en ville et après avoir posé nos sacs dans notre logement, nous partons à la recherche de nourriture. Les rues sont étrangement désertes, et nous commençons presque à nous demander s’il y a vraiment un festival en ville. Nous consultons Google Maps et décidons de nous diriger vers Pottery Square pour trouver quelque chose à manger.
Au coin d’une rue, nous découvrons une foule dense qui bloque complètement le passage. Intrigués, nous cherchons l’origine de cette agitation. Au loin, un immense tronc ou poteau se dresse soudain, comme sorti de nulle part, oscillant avant de se stabiliser. Nous nous faufilons à travers la foule pour nous rapprocher et comprendre ce qui se passe.
Au cœur de la place, près d’une petite pagode, le poteau est maintenu par des cordes et des pierres. Des jeunes hommes grimpent aux cordes avec une agilité incroyable, jettent de l’argent dans la foule pendant que d’autres tiennent les cordes à bout de bras. L’ambiance est électrisante: on s’attend à tout moment à ce que quelqu’un tombe… mais non, ils sont rapides et habiles comme des singes.
Nous repérons une terrasse surélevée qui semble être un restaurant, y commandons notre repas et observons l’animation au loin. Pendant ce temps, la foule se disperse, et laisse place aux familles venues faire offrandes et sacrifices.
Au cœur de la cérémonie
En discutant avec les habitants, nous apprenons qu’une cérémonie similaire mais plus grande aura lieu le soir à Yoshin Khel. Nous nous y rendons, mais la place est presque vide : seulement quelques personnes et un tronc de bois colossal allongé au centre. Nous comprenons vite que le festival suit son propre rythme.
Soudain, nous sentons un changement d’énergie : en haut de la côte qui domine la place, un immense char descend au milieu de la foule, retenu par la force des bras des Népalais. Chacun se précipite pour participer à l’effort. Peu après, un second char, plus petit, arrive à son tour. Nous apprendrons plus tard qu’ils symbolisent une divinité mâle et femelle.
Le tronc, deux ou trois fois plus grand que celui que nous avions vu auparavant, doit être dressé. Des cordes y sont attachées et plus d’une centaine d’hommes se mobilisent pour le hisser. La base repose contre un rocher servant de support, et la lutte commence. La foule est dense et chaotique : au plus près du tronc, les hommes se poussent, tirent sur les cordes, parfois en viennent aux mains pour se placer au cœur de l’action. Cette violence contraste avec la réputation des Népalais calmes et accueillants.
Prudemment, nous nous rapprochons pour observer, et Rémy participe même quelques instants. Malgré les bousculades, les hommes tirent unanimement. Après plus de deux heures d’efforts collectifs, le tronc est presque dressé. Un habitant nous explique les traditions et nous met en garde : le poteau pourrait osciller, voire tomber. Quelques instants plus tard, la tension monte et un mouvement de foule nous pousse à reculer de plusieurs mètres. L’immense tronc vacille dangereusement au-dessus de la foule, mais finit par se stabiliser et se dresser complètement. La foule éclate alors de joie et d’acclamations.
La chute du tronc cérémoniel
Nous revenons le lendemain sur la même place pour assister à la suite du festival népalais. Les habitants font des offrandes aux chars représentant des divinités, grimpent dessus, tandis qu’une longue file de personnes attend de pouvoir entrer dans la pagode pour déposer leurs offrandes. D’autres jouent de la musique, dansent ou s’installent simplement pour échanger. Tous sont magnifiquement vêtus de rouge et de noir, créant un spectacle visuel impressionnant.
Nous nous promenons au milieu de cette animation, ravis de pouvoir observer ces cérémonies traditionnelles au Népal. Lorsque la foule devient plus dense et que l’ambiance devient électrique, nous comprenons qu’un événement important va se produire. Le fameux poteau cérémoniel va bientôt être descendu, et nous cherchons un endroit sûr pour y assister.
Soudain, le tronc oscille. Il a été détaché et, d’un bruit sourd, il s’écrase au sol. Dès que le tronc touche le sol, la foule se précipite en courant pour récupérer un morceau d’écorce, probablement pour leur porter chance.
L’apogée du festival
Puis commence l’ascension des chars. Ils doivent être remontés en haut de la côte pour un dernier rituel. Une fois encore, à la seule force de leurs bras, les Népalais poussent et tirent ces chars pesant sans doute une tonne. La lutte pour monter à bord est intense : coups de poing et de pied fusent pour faire descendre les indésirables. L’ascension est lente et éprouvante, alors nous décidons de manger un morceau et de revenir plus tard.
Plus de deux heures après, nous arrivons en haut de la côte. Le premier char est déjà en position, tandis que le second est encore tracté jusqu’au sommet. Nous cherchons alors un restaurant ou un hôtel avec terrasse pour observer la suite. Une fois installés, les deux chars semblent prêts. On nous explique que le rituel qui va suivre symbolise l’accouplement des deux divinités. L’un des chars sera lâché depuis le haut de la pente pour dévaler quelques mètres et s’emboîter avec le second.
La manœuvre est dangereuse : il arrive que la foule soit blessée entre les roues du char et un mur. Heureusement, tout se passe bien ce jour-là. Il faut cependant trois essais pour réussir l’« accouplement » : le char est lâché sur l’autre au cœur de la foule, puis retiré pour recommencer.
C’est sur cet événement final que s’achève notre expérience du Bisket Jatra. La foule est euphorique et célèbre. Nous retournons à notre hôtel, le cœur rempli de souvenirs, avec en tête une expérience unique que nous ne sommes pas prêts d’oublier.
Bisket Jatra, une expérience à part
Nous ne comprenons pas toujours le sens de tous les rituels, et nous vous racontons ici les événements tels que nous les avons vécus, en y ajoutant les informations que nous avons glanées auprès des habitants. Nous ne pouvons pas garantir l’exactitude culturelle de ces informations.
Le Nouvel An népalais à Bhaktapur, c’est bien plus qu’un changement de date. C’est une plongée dans l’âme d’un peuple, dans une culture millénaire, une fête vivante et sans artifice, puissante et parfois troublante. On en ressort marqué, ému, et riche d’une expérience profondément humaine. Si vous êtes au Népal en avril, ne ratez pas cette opportunité d’assister à Bisket Jatra.
Infos pratiques pour profiter pleinement du Bisket Jatra
Comment s’y rendre depuis Katmandou ?
Bhaktapur se trouve à 13 km à l’est de Katmandou.
🚌 Bus local depuis Ratna Park : économique (~50 NPR, soit 0,30€), lent et souvent bondé mais surement l’expérience la plus authentique.
🚖 Taxi ou voiture avec chauffeur : rapide et confortable (~1000 NPR, soit 7€).
⏱ Prévoir environ 1h de trajet
- Où dormir ?
Nous avons séjourné à Sweet Inn pour environ 10€ la nuit, très propre et idéalment situé.
- Où manger ?
Et surtout, ne partez pas sans goûter le célèbre King Curd (Juju Dhau), un yaourt sucré épais servi dans un pot en terre. Délicieux !
- Parlez avec les habitants, demandez à comprendre ce que vous voyez. Ils se feront un plaisir de vous expliquer leurs traditions, surtout si vous montrez de la curiosité et du respect.